Mohamed Bachiri est le premier directeur marocain d’une usine Renault dans le monde. Travaillant depuis sa nomination sur le projet qu’est l’usine Renault de Tanger, il mène avec succès la vision stratégique du groupe Renault, qui a réalisé en 2022, dans une conjoncture de crise, des résultats records, avec pas moins de 94 500 véhicules construits par an à Somaca, dans la préparation du capital humain pour le lancement de la plus grande usine d’Afrique. Le DG revient avec nous, dans cet entretien, sur le bilan du groupe, la signature Made in Morocco, l’héritage historique de Somaca, depuis 1928, et les perspectives d’avenir pour atteindre l’objectif de 1 million de voitures par an.
Autonews : Somaca a marqué l’histoire de l’industrie automobile marocaine. Pouvez-vous nous parler de cette Success story ainsi que l’écosystème dans lequel elle évolue, et quel a été l’impact de la Somaca sur cette industrie ?
Mohamed Bachiri : Le Groupe Renault est présent au Maroc depuis 1928. Dans quelques années, nous allons fêter cent ans d’histoire de l’automobile au Maroc. Nous avons commencé à accompagner le secteur de la filière automobile à partir de 1965, quelques années après la création de l’Usine Somaca. Cette usine que moi j’appelle «La Zaouia de l’industrie automobile au Maroc». Elle est le berceau de cette industrie. Elle est également un vivier de formation, de développement de compétences, de nombreux cadres qui ont assumé des responsabilités extraordinaires dans la filière automobile. Donc, en 1965, nous avons commencé à fabriquer des véhicules dans cette usine. En 2005, Renault a racheté les parts de l’État et est devenue actionnaire majoritaire de Somaca. C’est également à partir de cette année que nous avons lancé la gamme Dacia, ce que j’appelle aujourd’hui : la saga Dacia. À l’époque, nous produisions à peu près 10 000 véhicules. Mais, l’industrie automobile au Maroc s’est véritablement métamorphosée grâce à l’annonce du projet Renault Tanger, en 2007. Nous sommes donc passés d’une capacité de production de 10 000 unités à pas moins de 440 000 véhicules par an. C’est à peu près un demi-million d’unités, ce qui est en soi une chose extraordinaire. Tout ceci a été réalisé grâce à la vision de Sa Majesté le Roi, Mohammed VI, que Dieu le glorifie. Et on le voit aujourd’hui, puisque les résultats sont là. Nous sommes aujourd’hui la première filière exportatrice du Maroc. C’est beaucoup de travail qui a été fait, et nous sommes fiers d’accompagner cette dynamique.
L’autre point important qui explique ces résultats, c’est l’écosystème. Nous avons effectivement développé notre propre écosystème, à partir de 2016. Nous avions, à l’époque, signé un premier contrat avec l’État marocain, par le biais de notre ministère de tutelle, celui de l’Industrie et du Commerce, avec deux objectifs. Le premier, c’est qu’en 2023, nous devons avoir un taux d’intégration locale de 65% et un chiffre d’affaires d’achat de pièces à partir des usines des équipementiers qui se trouvent au Maroc, de 1,5 milliard d’euros par an. A fin 2021, nous avons un niveau d’intégration de 64% hors mécanique et le chiffre d’affaires a atteint 1,3 milliard d’euros. Nous sommes pratiquement en trajectoire pour respecter nos engagements en 2023.
Il y a aussi un autre indicateur pour illustrer tout ce travail qui a été fait en partenariat avec les pouvoirs publics, c’est ce qu’on appelle les fournisseurs en 1, c’est-à-dire les fournisseurs qui nous livrent les pièces que l’on monte dans nos véhicules, qui étaient au nombre de 26 en 2016, et qui sont passés à 76 en 2020-2021. Nous avons donc triplé par trois sur quelques années le nombre de nos fournisseurs en 1. Tout cela a permis de créer des milliers d’emplois, beaucoup de valeur ajoutée, de développer les compétences des jeunes marocains et, surtout, de développer le chiffre d’affaires à l’export de la filière automobile.
C’est pour cela qu’il ne faut jamais oublier tout le travail qui a été fait par nos prédécesseurs. C’est cette histoire que l’on doit perpétuer pour les générations futures. Et c’est ce qui fait que le Maroc est aujourd’hui visible sur les cartes de l’industrie automobile mondiale.
Autonews : L’année 2022 a été très bonne en termes de production et d’exportation. Comment expliquez-vous ces réalisations dans un contexte marqué par la crise ?
M. B. : À cause du contexte Covid, beaucoup de choses ont été déréglées, notamment la partie logistique au niveau international, la hausse des prix des matières premières, la crise des composants électroniques, les problèmes liés à l’énergie aussi. Tout cela a fait que nous avons vécu tous ces impacts au niveau du secteur industriel. Mais la force du Maroc, c’est que nous avons un outil industriel flexible. Cette flexibilité, nous l’avons grâce à plusieurs paramètres. D’abord, le Maroc est dans le Top 5 des pays qui fabriquent le plus de voitures chez le Groupe Renault. Ce que nous construisons entre Tanger et Casablanca constitue 17% de ce que le Groupe vend. Nous sommes devenus une plateforme incontournable du Groupe. Le deuxième point, c’est que nous avons réussi à instaurer depuis le début une qualité de dialogue social qui est très importante, ce qui nous a permis de trouver des solutions innovantes pour assurer la flexibilité et en même temps protéger les usines et les emplois. C’est grâce à ces acquis que nous avons réussi à produire plus de 15% par rapport à l’année précédente. Et à Somaca, nous avons réalisé une année historique avec
94 500 véhicules. Le dernier record datait de 2018. Et là, je tiens à rendre hommage aux équipes, au groupe, aux pouvoirs publics et à la tutelle qui nous ont accompagnés. C’est tout ce travail collectif qui a permis ces résultats extraordinaires.
Autonews : Somaca contribue activement à la signature «Made in Morocco». Pourriez-vous nous éclairer sur ses spécificités pour assurer le leadership au niveau régional dans l’industrie automobile ? Et comment pérenniser cet exploit ?
M. B. : Nous avons à peu près 70% des véhicules fabriqués à Somaca qui sont exportés, ce qui n’était pas le cas au début des années 2000. Il y a donc une transformation en profondeur de tout l’outil industriel, mais pas que, puisqu’il y a aussi un investissement très important dans les ressources humaines, notamment l’investissement dans tout ce qui est industrie 4.0, sur le digital, le process d’automatisation, la robotisation avec un taux de 20%, ce qui est extraordinaire pour une usine de la taille de Somaca. Sans oublier que c’est une usine très agile. Elle est compacte, mais très agile, avec ce point important, c’est que les gens se sentent ici en famille. Il y a une âme dans cette usine. Une âme qui est transmise de génération en génération. Ce qui fait que les gens sont solidaires et travaillent pour l’intérêt général. Du coup, Somaca est aujourd’hui l’une des meilleures usines du Groupe au niveau international, à la fois en termes de qualité et de compétitivité. C’est pour cette raison que je répète toujours que s’il n’y a pas eu Somaca, il n’y aurait pas eu Tanger. Et s’il n’y avait pas Tanger, il n’y aurait pas nos amis à Kénitra. C’est pour cela aussi que je dis que Somaca est un bien collectif national. Car, rares sont les Marocains qui n’ont pas eu ou n’ont pas un lien direct ou indirect avec cette usine.
Autonews : Avec le lancement de la nouvelle Sandero et la nouvelle Logan, Dacia poursuit sa percée sur le marché national. Quelle lecture faites-vous de ce succès et quelles sont les perspectives pour cette marque très prisée aujourd’hui ?
M. B. : En effet, la marque Dacia, c’est la première marque au Maroc. Les modèles Dacia sont les numéros 1 de leur segment. Et les véhicules fabriqués à Tanger et à Somaca font partie du Top 10 des voitures les plus vendues au Maroc. Et la nouvelle Sandero, c’est le véhicule le plus vendu pour les particuliers en Europe depuis 2017 toutes marques confondues. Cela dépasse les frontières marocaines. Et c’est cela le «Made in Morocco». C’est que nous faisons rayonner le produit fabriqué au Maroc par des cadres et des compétences marocaines. Si nous prenons le marché marocain, l’autre atout de la marque Dacia, c’est qu’en termes de qualité des prestations qui sont offertes au client, c’est le meilleur rapport qualité prix qui existe au Maroc. Et c’est ce qui a fait sa renommée. Par exemple, la Logan, fabriquée à Somaca, est le premier véhicule vendu depuis plusieurs années au Maroc. C’est dans ce sens que nous avons lancé l’année dernière de nouveaux modèles à Somaca. Il s’agit de la nouvelle Sandero et de la nouvelle Logan, ces deux modèles qui sont encore plus riches en termes de technologie, qui répondent de plus en plus aux meilleurs standards en termes de qualité et des exigences du client. C’est ce qui fait la force de la marque Dacia aujourd’hui.
Autonews : Sur le plan commercial, Renault Group Maroc marque son leadership avec Dacia et Renault, respectivement à la première et la deuxième place du marché marocain, avec 27,5% de parts de marché pour Dacia et 15,5% pour Renault. Pourrions-nous avoir une idée sur le déploiement des moyens utilisés pour avoir atteint ces performances ?
M. B. : Vous savez, comme je l’ai dit en introduction, le Groupe est présent au Maroc depuis pratiquement un siècle. Il y a là un véritable héritage. Et c’est cet héritage que l’on développe de plus en plus. Dans ce sens, l’introduction de la marque Dacia au Maroc en 2005, le rapport qualité prix, les nouveaux modèles qui sont très demandés, et le fait aussi que Renault Commerce Maroc dispose du meilleur réseau de couverture commerciale à travers le Maroc, puisque nous avons 91 points de vente, qui couvrent toutes les régions du Maroc. C’est là un atout très important en termes de ventes, mais aussi en termes d’après-vente et de fidélisation du client. Nous avons aussi une captive financière très efficace, qui finance les particuliers pour acheter leur véhicule, pour la vente ou la reprise. C’est pratiquement 1 client sur 3 qui est financé par cette structure.
D’un autre côté, il faut souligner que nous avons développé un savoir-faire grâce à l’investissement formation, qui a été mis en place depuis de longues années par le Groupe Renault et qui touche la partie technique, la partie achat, la partie logistique, la partie RH, la partie process, la partie produit… Dans ce sens, je rappelle que nous avons un centre de formation à Tanger qui s’appelle «Centre de formation aux métiers de l’industrie automobile», qui est géré par Renault, mais qui appartient à l’État, et qui a démarré en 2011. Nous avons dispensé jusqu’à aujourd’hui pas moins de 3 millions d’heures de formation. C’est ce centre de formation qui est le fer de lance de notre unité industrielle. C’est lui qui nous accompagne à travers des formations opérationnelles. Au niveau technologique, nous avons le savoir-faire qu’il faut avec des ingénieurs qui savent programmer nos robots, les entretenir et les reprogrammer. Sur la partie compétitivité, grâce au dialogue social et aux accords de flexibilité, nous avons réussi à maintenir nos objectifs et nos engagements vis-vis de nos clients.
Mohamed Bachiri, Le parcours
Diplômé de l’Université de Lille.
Diplômé de l’European Executive MBA de l’Ecole Supérieure de Commerce
de Paris.
2006 : Directeur des Ressources humaines Somaca et Renault Commerce Maroc.
2009 : Directeur des Ressources humaines Groupe Renault Maroc (Usine de Tanger, usine Somaca et Renault Commerce Maroc).
2012 : Ouissam du Mérite national de l’ordre d’officier par Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
2013 : Responsabilités Manufacturing -Usine Renault de Valladolid-Espagne.
Depuis 2015 : Directeur général de la SOMACA.
2018/2020 : Président de la Commission solutions sectorielles de la CGEM.
2019 : Chevalier de la Légion d’honneur de la République française.
2019 : Président de la CGEM par intérim.
2020 : Vice-Président de la CGEM et Président de la commission Innovation et Développement Iindustriel.