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Benacer Boulaajoul : La sinistralité routière s’inscrit dans une tendance baissière

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La sinistralité routière au Maroc est un fléau majeur qui a un coût socioéconomique important. La création de Narsa a permis de fédérer les actions de tous les acteurs impliqués dans ce domaine et tirer vers le bas le nombre de sinistres. Plusieurs chantiers structurants ont été lancés dont notamment la digitalisation de tous les services. Le point avec Benacer Boulaâjoul, Directeur général de l’Agence nationale de la sécurité routière (NARSA).

Autonews : Narsa est une nouvelle agence qui s’est dotée de moyens financiers et humains importants. Quelle est sa mission ?

Benacer Boulaajoul : La création de Narsa est qualifiée comme une sorte de maturité en matière de management de la sécurité routière. Au lieu d’avoir plusieurs intervenants dans le domaine, l’idée était de fusionner plusieurs structures en créant un seul organisme qui concentre toutes les attributions afin que l’action soit plus efficace. Nous avons récupéré l’ensemble des attributions de l’ex-Comité national de prévention des accidents de la circulation (CNPAC) notamment la partie éduction, communication et sensibilisation, plus la partie achat de matériel de contrôle et aussi la partie étude et recherche.

L’agence s’est adjugée également une bonne partie des attributions de la direction routière relevant du ministère du Transport, notamment la partie relative au permis de conduire, et celle concernant les véhicules comme l’homologation, le contrôle technique jusqu’au retrait du véhicule de la circulation. Nous avons également récupéré les attributions du Centre national d’essai et d’homologation de Casablanca, du Centre national de traitement des infractions, la partie dédiée au système d’information. Nous disposons de bases de données sur les permis de conduire et les véhicules. Nous avons, en effet, repris le système de gestion des infractions qui relie le ministère du Transport, celui des Finances, la Direction générale des impôts, la gendarmerie royale, la Direction générale de la sureté nationale (DGSN) et la douane.

Autonews : Comment jugez-vous l’évolution de la sinistralité dans les routes marocaines ?

B. B. : Il existe un management stratégique de la sécurité routière qui a commencé à partir de 2003. C’était une révolution par rapport à ce qui existait auparavant. Car, entre 1996 et 2003, on recensait une augmentation annuelle de la sinistralité routière de 4 à 5%. La première stratégie qui était étalée entre 2004 et 2013, avait pour principal objectif de stabiliser le nombre d’accidents. Nous avons pu atteindre cet objectif et même enregistrer certaines années des baisses. L’entrée en vigueur du code de la route en 2010 avait donné des résultats spectaculaires. Au mois de septembre de la même année, soit un mois avant le nouveau code la route, nous avons enregistré une hausse de la sinistralité de 20% et un mois après avec l’entrée du code une baisse de 19%. Malheureusement, cette régression n’a duré que trois mois. La loi 52-05 a exigé la preuve matérielle de l’infraction. Le parc de radars que nous avions à cette date, ne permettait pas de réaliser cette fonction. Pour déployer et financer l’acquisition de ces outils, cela a pris du temps. La sinistralité a alors repris de plus belle et 2011 a été une année macabre dans l’histoire des accidents de la circulation au Maroc avec 4 222 morts. Aujourd’hui, nous sommes à 3 417. La stratégie nationale de 2017-2026 a pour objectif de réduire de moitié le nombre de décès. En 2022, nous étions à -10%. Le cumul des vies humaines épargnées est de 1 500. Cependant, même si la tendance est baissière, nous restons loin des objectifs.

Autonews : La sinistralité routière évolue plus vite dans le milieu urbain que dans le rural. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

B. B. : Sur les dix dernières années, nous avons gagné 10 points dans la part du nombre de tués dans l’urbain par rapport au rural. Nous étions sur une part de 50-50. Actuellement, nous sommes sur 60-40. La problématique est très concentrée sur les deux-roues et les piétons qui sont les plus exposés avec 69% de tués. Les premiers représentent 39% des décès. Malheureusement, la plupart sont des jeunes entre 15 et 29 ans, une catégorie qui représente 44% du nombre total. Si on passe à 35 ans, la part grimpe à 53%. Il est donc clair que le plan d’action doit être focalisé sur cette cible.

Pour ce faire, nous avons lancé un programme dit «Safe Moto», qui englobe la partie communication et sensibilisation et aussi la partie contrôle. Au niveau national, 78% du non-respect des feux rouges sont les deux-roues, et à Marrakech ce taux atteint 83%. Nous allons les intégrer au niveau des contrôles automatisés des radars fixes.

Pour mieux les superviser au niveau de la vitesse, les blocs moteurs seront contrôlés car parfois ils sont transformés et ne correspondent pas à la réglementation en vigueur, notamment au niveau du volume de leur cylindrée et de leur puissance. A cet égard, les agents de la DGSN seront équipés de speed mètres pour veiller à leur conformité. Au programme figure également le renforcement du contrôle des casques à travers la mise en place d’une brigade mobile de la circulation routière. Elle sera lancée d’abord à Tanger avant d’être déployée dans plusieurs villes. Nous avons acheté 130 motos qui sont mises à la disposition de la DGSN afin d’avoir des unités mobiles qui circulent au niveau de la ville pour contrôler les dysfonctionnements comportementaux.

Autonews : Outre la sécurité routière, quels sont les services assurés par Narsa ?

B. B. : Quand on synthétise notre activité, elle s’articule autour de deux axes. Le premier concerne l’amélioration de la sécurité routière. Nous ne sommes pas les seuls intervenants dans ce domaine, il y a la gendarmerie royale, la justice, la DGSN et les finances. Le deuxième axe concerne un ensemble de services liés aux usagers de la route, comme le permis de conduire, les cartes grises et la visite technique. C’est Narsa qui donne les agréments pour les auto-écoles et qui assure leur supervision et leur contrôle avec tout le support didactique et pédagogique pour l’enseignement de la conduite. Nous organisons l’examen pour les permis de conduire, la gestion du solde de points, leur retrait, leur attribution ou le retrait du permis. Depuis son démarrage, Narsa recense 1,6 million de permis touchés par le retrait des points.

Au niveau de la partie véhicule, nous assurons l’homologation par type et celle liée à la réception à titre isolé qui concerne les véhicules importés de l’étranger ou ceux qui ont subi des changements comme les poids lourds.

Pour le volet contrôle technique, nous supervisons tout le processus qui se fait à travers les centres de visite technique tout en développant de nouveaux métiers comme la partie expertise.

Autonews : Qu’en est-il de votre collaboration avec les collectivités territoriales pour organiser et gérer la signalisation ?

B. B. : Nous collaborons avec les collectivités territoriales (CT) pour ce qui est des normes techniques des infrastructures. Et pour cause, il existe un manque patent pour l’ensemble des normes des infrastructures. A ce sujet d’ailleurs, nous avons élaboré un guide référentiel pour tout ce qui est aménagement de la sécurité.

Les CT seront initiées à ce guide pour que l’espace soit aménagé selon les mêmes normes dans tout le territoire national et disposons d’un département qui s’occupe uniquement de leur accompa gnement. Parfois, la signalisation n’est pas adéquate à la réalité. En voici quelques exemples :

• On peut trouver une voie où il est possible de rouler à 100 km/h sans problème. Mais on installe une plaque limitant la vitesse à 40 ou 60 km/h. Quand la signalisation n’est pas fiable, elle n’est pas respectée.

• Le passage piéton doit répondre à certaines normes techniques, sinon il serait dangereux.

• Il existe deux types de signalisation : une qui est avancée et une autre dite de position. Il est donc essentiel qu’elle soit bien étudiée et mieux installée.

Il faut noter que l’infrastructure permet d’encadrer le comportement routier. Dans le cadre d’un partenariat avec les CT, nous lançons des projets pour protéger les deux-roues et les piétons qui représentent 69% des décès des accidents de la circulation au niveau national. A ce sujet, nous avons finalisé un appel à projets avec la direction des Collectivités territoriales pour qu’on puisse cofinancer ce programme avec une enveloppe de 5 millions de DH pour les bandes cyclables et les passages piéton.

Autonews : Quelle est votre stratégie pour faire face aux points noirs et aux accidents très graves ?

B. B. : Concernant les points noirs dans la rase campagne, il existe tout un programme doté d’un budget de 3 milliards de DH dont 1 milliard est alloué par Narsa. Il est lancé en partenariat avec la direction des routes qui a l’expertise nécessaire.

Nous avons un département très intéressant dit «Crash investigation», qui a pour objectif de déterminer les causes techniques des accidents et de reconstituer la scène du sinistre. Auparavant, on se basait uniquement sur les PV de la police ou de la gendarmerie pour comprendre la causalité des sinistres routiers. Mais ces PV ont un objectif purement juridique pour déterminer la responsabilité des antagonistes lors d’un accident sans pour autant dégager des éléments techniques. Nous avons une pépinière d’ingénieurs que nous sommes en train de former aux logiciels et aux drones pour faire des investigations sur les accidents spectaculaires, comme de celui de Khouribga ou de Taza qui ont fait de nombreuses victimes.

Autonews : Depuis le démarrage de Narsa, quels sont les chantiers les plus structurants que vous avez lancés ?

B. B. : Le chantier le plus important concerne la convention signée avec Al Barid Bank et Barid Cash pour externaliser toute la partie front office. Au lieu d’avoir 75 centres au niveau territorial, les usagers ont maintenant à leur disposition 800 agences, qui reçoivent les dossiers pour instruction. Et au niveau des centres, nous assurons le contrôle et la validation des dossiers. Une fois cette étape terminée, nous les envoyons à Dar As-Sikkah pour impression. Par exemple, à Casablanca, avant nous avions quatre centres Narsa mais maintenant, nous comptons 80 agences. Cela permet plus de proximité avec les usagers et plus de fluidité pour le traitement des dossiers.

A partir du 1er mars 2023, nous n’allons recevoir que les candidats qui passent l’examen du permis de conduire et les personnes qui importent des véhicules de l’étranger et qui doivent effectuer une expertise. A travers cette convention, nous avons décongestionné la pression sur les centres et améliorer la qualité des services pour les usagers.

Nous avons également travaillé sur le chantier de la numérisation des documents. Tous les dossiers déposés au niveau des agences sont numérisés en temps réel. Jadis, ces dossiers accusaient beaucoup de retard car nos agents étaient le plus souvent occupés par l’accueil et n’avaient pas assez de temps pour faire la saisie. Par conséquent, on recensait de longues files d’attente au niveau des centres.

Autonews : Quels sont les services numériques que vous proposez ?

B. B. : Lors de la pandémie, nous avons lancé la prise de rendez-vous online, avec l’externalisation à Al Barid Bank et Barid Cash, ce service a été abandonné. Le suivi du traitement des dossiers est devenu totalement dématérialisé avec la mise en place d’une plateforme pour vérifier si le véhicule ne fait pas l’objet d’une opposition.

Notre offre numérique englobe aussi le service «Tasrih Saek». Il cible les entreprises qui ont une flotte importante dépassant des centaines voire des milliers de véhicules et aussi beaucoup de conducteurs. En cas d’infraction, c’est l’entreprise qui est responsable et c’est à elle de déclarer qui est le conducteur qui l’a commise. Ce service peut gérer aussi les ordres de mission et les périodes d’affectation des conducteurs. Il existe pratiquement 30 000 entreprises inscrites à ce service, et quand il y a une infraction, elle est adressée au vrai contrevenant et pas à l’entreprise. Ce problème se pose aussi pour les agences de location de voitures.

Narsa propose également Prépack, qui est un programme créé pour gérer le renouvellement du parc des transporteurs et de la prime à la casse. Il est doté d’une enveloppe de 250 millions de DH. Avant la création de Narsa, les demandes se faisaient en format papier avec des allers-retours chez le service routier. La personne concernée devait revenir après un mois pour savoir si la demande est éligible ou pas. Avec ce service, elle peut s’assurer si son dossier est accepté. Il a donc permis une bonne fluidité de traitement des dossiers. En une année, nous avons consommé tout le budget qui a été alloué à ce programme.

Parmi les services numériques lancés, figure celui de la consultation des infractions routières. Le conducteur peut le consulter pour savoir s’il a commis des infractions ou s’il est frappé par un retrait de points ou de permis. Pour le dernier cas, il doit repasser l’examen et suivre une formation de sécurité routière. Cette formation est assurée actuellement par de nombreux centres répartis entre ceux de l’OFPPT et d’autres privés. Toujours au niveau des infractions, nous sommes sur un projet de leur automatisation. Le dispositif permettra le paiement en ligne. Narsa est en train d’achever la transition digitale pour que tous les services soient dématérialisés. Il ne nous reste que le permis de conduire et la carte grise à faire passer en formule numérique pour que la boucle soit bouclée dans ce méga chantier.

Le nombre de décès en baisse de 6,84%

Un total de 3 201 décès dus aux accidents de la route a été enregistré durant l’année 2022, en baisse de 6,84%.

Le nombre total des accidents corporels au cours de l’année 2022 s’est élevé à 113 740, soit une baisse de 1,53%. Quant aux blessures graves et légères, elles ont diminué de 5,22% et 1,07%, respectivement.

Les accidents graves sont en baisse malgré la hausse du nombre des accidents, et le ratio des décès pour 100 000 véhicules est passé de 529 en 1971 à 75 en 2022.

Il faut rappeler que la sinistralité  a un impact économique et social élevé. Elle a coûté en 2019 environ 1,69% du PIB, soit 19,5 milliards de dirhams. La première stratégie nationale de sécurité routière a été adoptée pour la période 2004-2013. Elle a été suivie par le premier plan d’urgence intégré, la nouvelle stratégie nationale 2017-2026 et le premier plan quinquennal 2017-2021.

Notons enfin que la stratégie vise à réduire de 50% le taux de mortalité en 2026, soit moins de 1 900 morts, en ciblant les piétons et les cyclomoteurs.

Pour lutter contre les mauvaises pratiques, nous sommes en train de digitaliser la visite médicale, parce que nous avons constaté que certains documents étaient de complaisance. Le médecin agréé doit avoir une signature électronique. Sur la plateforme, il doit déposer toutes les informations concernant la personne qui désire passer le permis de conduire ou le renouveler. Il est donc obligé de diagnostiquer le candidat sur l’acuité visuelle, son état physique et son aptitude à conduire.

Autonews : Qu’avez-vous entrepris pour améliorer la formation dans les auto-écoles ?

B. B. : Nous accompagnons les auto-écoles en matière de formation. Auparavant, il n’existait pas un référentiel national à ce niveau. Même le code de la route était présenté sous sa forme juridique alors que la sécurité routière qui est la finalité, n’existe nulle part. Il était donc important d’inclure des notions pédagogiques et de sensibilisation pour le percevoir comme un outil de protection des personnes et non pour éviter les sanctions forfaitaires ou pénales. Par le passé, une fois que le candidat était inscrit à l’auto-école, son désir était de passer directement à la conduite. Actuellement, les heures de formation sont comptabilisées au niveau de la plateforme. Il existe tout un calendrier de modules avec des quiz.

Prochainement, nous allons réviser l’examen théorique qui comprend 600 questions. La nouvelle mouture devrait inclure 1 000 nouvelles questions et aussi des vidéos. L’idée est d’évaluer la performance du candidat dans une situation de conduite. Narsa a également élaboré une plateforme e-learning. L’auto-école remet un code au candidat pour suivre une formation sur le système qui regroupe aussi la sécurité routière. L’examen pratique sera lui aussi amélioré avec le lancement de la voiture intelligente. Il permettra de respecter la réglementation en matière d’évaluation. Cet outil évitera la subjectivité avec un taux de réussite plus élevé dans un centre que dans un autre. En supprimant l’intervention humaine, c’est le même dispositif qui sera soumis aux candidats partout au Maroc. Le système éditera un reporting de toutes les manœuvres et une géolocalisation de tout le circuit emprunté par le candidat.

Autonews : La digitalisation nécessite le traitement d’un important volume de données personnelles. Qu’en est-il de leur préservation et de la sécurité ?

B. B. : Pour chaque plateforme lancée par Narsa, nous respectons scrupuleusement les directives nationales du système d’information. Nous devrons avoir l’audit et l’aval de la Direction générale de la sécurité de systèmes d’information (DGSSI). Il faut noter que nous sommes un établissement public et juridiquement, nous pouvons gérer les données à caractère personnel dans la limite de ce que nous attribue la loi. De ce fait, nous sommes responsables de la sécurité de ces données, qui se fait dans le cadre du respect de la réglementation.

Autonews : Parmi les chantiers structurants que vous avez lancés, figure la formation routière dans l’Education nationale. Comment se décline ce programme ?

B. B. : Effectivement, la formation routière dans l’Education nationale est une réalisation majeure que nous avons initiée. Nous pouvons lancer les meilleures innovations et les outils technologiques les plus pointus mais tant que nous ne travaillons pas sur l’élément humain, les efforts de lutte contre la sinistralité ne peuvent donner les effets escomptés.

En partenariat avec le ministère de l’Education nationale, nous avons réalisé un pas de géant à ce niveau à travers l’intégration de la sécurité routière dans le programme scolaire dès le primaire comme matière à part entière. Elle existe aussi au niveau des matières support (éducation civique et islamique, maths et géographie). A la troisième année du collège, l’élève doit avoir une attestation scolaire de sécurité routière, qui est intégrée à son Code Massar. A partir de cette année, environ 600 000 élèves bénéficieront de cette formation.

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